Double mimétique, Même et Identique

MIMÊSIS ET DOUBLE MIMÉTIQUE.

Manifestations sensibles des caractères cachés de l’homme. Une représentation d’avantage qu’une imitation.
Chez les grecs, mimêsis signifiait : « l’action de reproduire ou de figurer et d’imaginer les choses« . Nous ajoutons : « figurer ou imaginer les humains dans leurs comportements et leurs désirs« .
Aristote, tout comme Platon dans La République, entendait tout ce qui est de l’ordre du « faire comme« . Freud s’y intéresse en liant mimesis et catharsis. Proust désigne le fruit du mimétisme en inventant un « avatar de son Moi-moi« .
Nous privilégions dans la mimêsis sa réalité la plus concrète, objectivée aujourd’hui par les techniques de l’imagerie médicale.

Le docteur Jean-Michel Oughourlian, dans Notre troisième cerveau, illustre parfaitement ce qu’apporte la recherche scientifique dans le domaine de l’imitation, et ce, en soulignant l’importance des « neurones miroirs ». Ces études ont d’abord concerné les singes macaques et récemment les êtres humains.

« Ces cellules (les neurones miroirs) sont activées quand un sujet voit quelqu’un réaliser une action et aussi quand le sujet réalise lui-même cette action : si Pierre regarde Yves qui prend un verre de vin, les aires motrices enregistrées au PET scan, sont sollicitées dans les deux cerveaux de la même façon. » (PET scan, technique d’imagerie médicale)

Le docteur Oughourlian rapporte l’expérience de Meltzoff :

« Un enfant regarde un expérimentateur qui essaie sans succès de démonter un jouet. Puis on donne ce même jouet à l’enfant en lui demandant d’essayer, lui aussi. L’enfant ne se borne pas à l’imitation du geste de l’expérimentateur, mais déploie un éventail de stratégies pour accomplir le but implicite du geste. De plus, lorsqu’on refait la même expérience avec une machine à la place de l’adulte, l’enfant, n’attribuant pas d’intention aux gestes robotiques de la machine, ne réagit pas, ce qui porte à penser que les énergies imitatrices ne sont excitées que par la présence des êtres humains : les neurones miroir ne réfléchissent et ne reflètent que l’alter-ego. »

Notre désir est-t-il bien le notre, puis qu’il est imitation du désir d’un autre ? Ce désir, est un désir partiel. Nous sommes constitués par une somme de désir partiels, une sorte de patchwork de désirs partiels, plus ou moins intriqués.

Le désir vient d’amont. Le désir d’aujourd’hui est celui qui s’est constitué antérieurement sur un désir lui-même élaboré bien avant dans le temps, et ainsi jusqu’à l’infini. Au gré des étapes du désir imité, chaque sujet ajoute ou retranche une part de lui-même : « échec, ajout, erreur ». Un même du désir se crée. C’est bien un double modifié du désir qui est véhiculé par chaque individu.

par le trou de la serrure - Le double mimetique

Exemple : La scène primitive.
La vue par l’enfant des rapports sexuels des parents dite « scène primitive » est un exemple de la constitution du désir mimétique. La vision qu’en retire l’enfant est d’abord chaotique, puis s’organise autour de l’interprétation qu’il en fait. Un Double de la « scène primitive » ressemblant à ce qu’il a interprété va naître. Le Double du désir sera la trame de ce qu’il croira être son propre désir. En réalité, ce désir, « le désir mimétique » (René Girard) vient de naître. Il se répète dans la nuit des temps.

Quelques exemples :

Monsieur R. raconte un rêve :
« Alors qu’une femme sourit, d’un seul coup, son visage change. Elle fait la sorcière. Ses joues se creusent, les yeux s’exorbitent. La haine ? Ses doigts se font griffes. Elle m’aspire dans ses dents. Je me réveille. »

Commentaire : Monsieur R. est éjaculateur précoce. Lors de son analyse, se fit jour que sa mère (grande hystérique) mimait « la sorcière » lorsqu’elle était excédée par ses enfants. Elle se mettait face à face, visage contre visage, et terrifiait par la brutalité de son changement d’humeur. Un jour Monsieur R. porta une limace à sa bouche. La sorcière fut alors particulièrement terrifiante.
Il n’échappera à personne ce que mimait l’enfant, en portant à la bouche « la limace ». Les incidences sur le désir mimétique de Monsieur R. sont claires. Monsieur R. ressent les femmes comme instables, féroces, imprévisibles. La relation de la femme avec « la limace » se passe de commentaires. À noter que Monsieur R., guérira de son éjaculation précoce, mais gardera une phobie des limaces ; heureusement il habite la ville et en rencontre rarement… Il a en horreur la fellation.

 

Monsieur S., marié depuis deux ans, n’a jamais pu aborder sa femme sexuellement. Il fait un rêve unique et à répétitions qui obture son onirisme. Il rêve :
« Je frotte la roue de ma moto sur celle de mes copains. Je bande. »
On apprend qu’il appartient à un club de routards. Un jeu s’y exerce : « on se fait du rentre dedans en se frottant la roue ».
Le mimétisme entre pneu gonflé et « rentre-dedans viril » eurent une incidence favorable sur son érectilité.

Commentaire : Son homosexualité latente, et les bénéfices érectiles qu’il en tirait, lui rendit service. Il emmena en virée moto son épouse avec les copains. Aucune femme ne faisait jusqu’alors ce type d’escapade. Ce fut la seule femme du groupe et bien acceptée. Au retour d’une virée ainsi effectuée, il annonça triomphalement qu’il avait accédé enfin sexuellement à la mariée. Ce fut sa dernière séance.
Que s’est-il déroulé ? On peut imaginer qu’il perçut le désir de ses amis pour la jeune femme. Un désir mimétique qui catalysera le propre désir du patient jusqu’alors inhibé.

Monsieur C. a des difficultés pour aller jusqu’au bout de ses actions. Il a, par ailleurs, des difficultés d’éjaculation. Il rêve :
« L’avion ne prend pas la piste. Je suis derrière des barreaux, je suis enfermé. L’avion vient vers moi, VERS MOI ! Je me réveille. »
On apprend que son père est pilote d’avion. Sa mère, tardivement, lui racontera les échecs sexuels de son père.
Lors de son analyse, il pourra reconstituer : un lit à barreaux dans la chambre des ses parents, des réveils nocturnes, son père venant le recoucher.

Commentaire : On assiste ici à un échec du mimétisme. En regardant « sa » scène primitive, il s’est identifié sans doute à l’échec de son père, et de sa difficulté « à prendre la piste ». Il aurait réussi un mimétisme favorable pour son avenir sexuel si tout ce qui se déroulait sous les yeux s’était passé « normalement ».
Aujourd’hui son « avion prend la piste ». Il est aussi guérit d’une claustrophobie. À noter que Monsieur C. avait une méconnaissance totale de l’anatomie féminine.

Nous sommes tous porteurs de désirs mimétiques que nous croyons propres à nous-mêmes. En somme, nous sommes tous détenteurs d’un Double mimétique, fils d’un patrimoine commun du désir. Il est difficile de singulariser un désir qui ne soit pas dans la répétition d’un autre :  ce désir est-il Même ou Identique  ?

Même et Identique

Paracelse écrit : « Derrière chaque chose vivante, se cache le double de celle qui apparaît« .
Nous nous posons la question : ce Double est il celui du Même, ou de l’Identique ? 

Le Même désigne, ce qui est semblable, pareil, analogue, similaire.
L’Identique se dit « d’objets ou d’êtres parfaitement semblables ».

Par exemple, l’enfant répète le désir de ses parents. Par extension, ceux de ses grands-parents aussi. L’idéal de l’avenir de son désir serait que s’élabore un Même de leur désir, et non pas un Identique. Une touche génétique, un apport de l’histoire du sujet, une aptitude créatrice, impriment heureusement un grain de différence. Cette simple variation crée un Même et non pas un Identique. L’absence d’ingrédients singuliers conduit à l’Identique. 

Les rêves de Doubles mimétiques que nous rapportons ici ont pour origine des rêveurs différents les uns des autres. Le Docteur H. isole ces rêves ayant attrait à l’Identique : ils sont rares, voir uniques. De plus, ils ont en commun qu’ils ne mobilisent pas ou peu d’associations d’idées de la part des patients. L’émergence de ces rêves reste isolée.

Quelques exemples :

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« Dans une pièce, des individus en smoking, portant sans distinction un nœud papillon noir, tiennent une cigarette à la main. Ils sont tous en train de fumer.
Une atmosphère bizarre. »

 

« Je rêve que je passe une rivière. De l’autre coté de ce passage, il y a des silhouettes figées, immobiles. Ce sont des formes vivantes, comme sidérées. J’ai peur, je continue mon chemin et les laissent la, immobiles. »

« Dans un espace clos, les individus sont tous en costumes anciens. Tout ces costumes sont les-mêmes. Tous ont une perruque. Tous sont chauves sous la perruque. »

« Des individus sont tous penchés de la même façon sur des écrans. Ils sont tous avides de ce que leurs regards contemplent. »

« Des hommes en uniforme vert avec un masque vert me barrent la route. »

Commentaire : les personnages de ces rêves ont en commun une ou plusieurs uniformités : la sidération, l’habit, l’attitude, etc… Dans ce monde onirique, le rêveur et les rêvés sont Identiques. Par cette similarité, rêveurs et rêvés sont les Doubles les uns des autres dans l’Identique.

« Une grande pièce froide. Je suis seule avec mes petits enfants. Ils sont séparés les uns des autres. Mon petit fils aîné dit de façon monocorde : « j’ai couché avec ma mère. » Ma fille d’habitude exubérante et exhibitionniste est impassible. Elle est dans l’immobilité, la passivité totale. Je me demande si tout cela ne se déroule pas à partir d’ombres chinoises. »

Commentaire : Le caractère « monocorde » de la scène de la « pièce froide « souligne l’absence d’émoi et de ressenti. Les personnages de ce rêves sont tous dans le Double des uns des autres, plongés dans l’inerte : l’inertie générale de la scène les rend Identiques. À noter que les enfants du rêve sont séparés entre eux.

ob_6fe309_54-arlequin-baumerUn cas à part, les rêves d’Arlequin -rencontrés plusieurs fois-
« Un Arlequin regarde dans le noir une scène sexuelle. »

Commentaire : Cette description mérite attention car elle est identique à elle-même dans chacun des rêves rencontrés, et cela, chez des individus différents.

L’Arlequin vient de l’ancien français HERLEQUIN, nom d’un diable ou d’un génie malfaisant. On retrouve ici un Identique, exemple l’uniforme qui recouvre les Arlequins. Il est fait de pièces de tissus en forme de losanges de même tailles, mais de couleurs différentes afin qu’elles se distinguent les unes des autres, trompant ainsi sur la similarité du costume.

 

L’ensemble de ces rêves a pour caractéristiques de mobiliser un malaise chez celui qui les observe : la singularité des individus disparaît, ils sont identiques, prisonniers de leur uniformité, déchus de singularité, enfermés, assujettis à l’Identique. On retrouve peut-être là, l’ombre d’un monde Diabolique.

 
Docteur H., par son expérience, souligne la récurrence de la rencontre de rêves à caractères mimétiques chez de multiples patients. Les patients ne détectent pas la cruauté de l’Indifférencié, ni l’absence de ressenti des protagonistes de ce type de rêves. On remarque que l’Identique annule le ressenti des rêveurs, annulant ainsi leur singularité, et les confondant à leur Double mimétique.
Mimétisme du Même, terreau de la différence ? Mimétisme de l’Identique, terreau du démoniaque ?