Madame R. et le Réservoir de mémoire (Article 3/4)

Dans l‘article précédent, nous avons vu que les indices du double chez Madame R., nous guidaient, au travers du traumatisme qu’elle relate dans ses rêves, à un jumeau qui serait mort in utero. La suite de l’analyse montrera les conséquences de ce décès sur Madame R.

Madame R. fait un rêve : « Quelqu’un marche à coté de moi. » ou encore : « Je marche et suis doublée par quelqu’un ». (Le rêve de se faire doubler est souvent rencontré chez d’autres patients.)

Madame R. associe ses pensées :

« Oui, je fais souvent ce rêve mais je ne suis pas dédoublée. Je ne suis pas double. J’ai une solidité qui ne vient pas de moi. Je suis aidée. Paix. Je suis venue ici avec une béance. J’ai maintenant une impression de solidité. Une force vient d’ailleurs. Il y a une certitude à coté de moi. Un Autre me permet de différencier double et jumeau. Peut-être double et jumeau sont-ils avec un petit « a » ? Un autre, celui avec un « A » contiendrait-il tout les petits « a » ?
Je peux être à des niveaux différents qui convergent quelque part. Il y a un jeu de fils qui arrivent à un centre commun. Peut-être existe-t-il une cohabitation : une convergence du physiologique vers le spirituel.
Vous, vous croyez à un double. Vous êtes intéressé par la relation du double et du jumeau. L’Autre n’est ni un double, ni un jumeau. Peut-être est-il un énorme réservoir d’amour qui aurait perdu son objet ? Je suis à l’intérieur d’un ensemble plus vaste. Si j’imagine un double, il est à l’extérieur de moi. Il n’est pas au même moment de ma vie. Il ne s’agit pas de double : c’est en moi que ça se passe. J’aurais en moi des traces d’un complètement Autre ? Qui est en qui ?
Je me demande si ne s’élabore pas une entité vivante dans laquelle vivent ceux qui sont morts. Mon jumeau serait là. Ça évoque une image commune à tous, à l’origine de l’humanité.
Aurais-je inventé un jumeau avec un « a » ? L’Autre – avec un grand A posséderait-il la capacité de contenir les petits « a » ?

La part vivante de mon mari, aujourd’hui décédé, a rejoint d’autres parts vivantes. Les traces actuelles activent les plus anciennes. Il y a une espèce de mémoire bien plus large. Il y a un réservoir de mémoire. C’est un endroit générateur de l’Ensemble et qui lui donne du sens.
Ça me fait penser à la « cité de Dieu » de Saint Augustin. Il parle d’univers intriqués. Les volumes, les mondes, des cités qui s’habitent mutuellement. Il propose des chevauchements d’imaginaires. Chacun prend quelque chose de l’univers commun. Il y a des recoupements, des mondes gigognes ? Des moments de réfraction ? Il y a comme une lumière éclairant des espaces intérieurs et qui trouvent des éléments homogènes par rapport à elle. Il n’y a pas de cloisonnement, l’image porte en elle des réflexions.
Parfois il y a des glaces : des images répétées à l’infini. C’est enfermant. Ça se court-circuite. »


Commentaire : On peut considérer « a » comme la mémoire individuelle et « A » comme le « Réservoir de mémoire » désigné ci-après.

Madame R poursuit ses associations d’idées:

 »Les humains ont une origine commune. Ce sont des petits points. Ils ont quelque chose de commun et différent les uns des autres. Le biologique est un autre avec un « a », une mémoire individuelle. Il est dans une recherche permanente de l’Autre vivant, le « Réservoir de mémoire ». Il le recherche car il y a vécu. Cet Autre serait au cœur de cette origine commune.

Le pont peut se faire par le passage de la mort. Le pont se fait à cause des traces laissées par le « Réservoir de mémoire » dans « la mémoire individuelle », c’est à dire, le vivant appartient à « la mémoire individuelle » dans laquelle se retrouvent des traces du « Réservoir de mémoire ». Ce sont des mémoires individuelles qui, quand mortes, se retrouveraient dans le « Réservoir de mémoire ».

Commentaire : Nos cellules meurent et naissent à chaque instant. Le physiologique proposerait- il donc un passage permanent ?

Elle reprendra lors d’une autre séance :

 »L’être vivant est un autre avec un « a », une mémoire individuelle. Il est dans une recherche permanente de l’Autre, le « Réservoir de mémoire ». Les individus ont quelque chose de commun et de différent les uns des autres, le « Réservoir de mémoire » offre à l’humain une origine commune, tout en respectant leur individualité. »

On retrouve le lien entre l’individu et le « Réservoir de mémoire » : la mort. On a conscience que ce pont existe grâce aux traces laissées par le « Réservoir de mémoire » dans la mémoire de l’individu.
Les traces récentes refléteraient les traces plus anciennes. La mort d’un autre activerait chez l’individu, les traces de mémoires plus anciennes, laissées par le « Réservoir de mémoire ».

Elle prolongera sa réflexion sur le moment de la naissance :

« Cette mémoire contient-elle de moi-même? ou des mêmes ? qu ‘est ce que ce même ? C’est pas l’identique. Le jumeau c’est pas le même. Nous ne sommes pas seul sur le chemin. Il y a un souffle qui va compléter… Pourrais-je dire que je suis la même ? Ici il y a eu une sacrée transformation. Je suis la même mais différente. »

On retrouverait dans le cas particulier d’un jumeau physiologique, une extension de ce lien. Le jumeau mort in utero serait porteur d’une mémoire antérieurement imprimée en lui. À sa mort – lors du présumé avortement – cette mémoire aurait en partie envahi/infiltré le vivant de sa jumelle, alors que le reste aurait rejoint le « Réservoir de mémoire ». C’est ainsi que la patiente aurait hérité d’une mémoire antérieure, une vue sur le réservoir de mémoire), le jumeau décédé servant de relais.

Les traces sont potentiellement vivantes. « Si l’expérience que j’ai d’un jumeau est réelle », dira-telle  »c’est une mémoire individuelle qui ne s’est pas développée et qui a avorté. »

Madame R. souligne :

« J’ai une certitude : à coté de moi, un Autre, me permet de différencier double et jumeau. Je peux être à des niveaux différents qui convergent vers quelque part. J’ai des fils qui arrivent à un centre commun. L’Autre – avec un grand « A » – n’est ni un double, ni un jumeau.
J’ai perdu mon mari récemment. Je pense que la part vivante de mon mari a rejoint une entité vivante dans laquelle vivent ceux qui sont morts. Cette entité vivante la comprend, inclut, ceux qui sont morts. Mon jumeau serait aussi là.
Il y a une espèce de mémoire beaucoup plus large : un réservoir de mémoire. Si j’imagine un double, il est à l’extérieur de moi. Il n’est pas au même moment de ma vie. Il n’est pas dans un ventre. Une histoire à moi, c’est une mémoire très particulière. J’aurai des traces en moi. J’aurai en moi, des traces d’un complètement Autre. (ou complètement autre ??)
Qui est en qui ? »

Réflexion : Il n’est pas clair de savoir si la patiente recherche un individu ou une entité divine derrière l’expression « Réservoir de mémoire ».

Elle ajoute :

« L’ensemble qui me constitue est à coté d’un autre ensemble. Il y a un temps hors d’ici qui est en continuité avec ici.
Mon chemin c’est de connaître, puis de reconnaître un autre,
un Autre ? Cette reconnaissance permet de connaître à nouveau, et autrement. Des vies englobent d’autres vies, et puis… cette vie qui souffle dans la nôtre. Peut-être ce qui est à l’origine se retrouve au bout du chemin et le parcourt. Il y aurait des vies dans la vie. Je suis dans un espace beaucoup plus grand que celui dans lequel je suis. Est-il un endroit générateur de l’ensemble et qui lui donne du sens ? ».

Réflexion : Le déni de la mort, le désir d’une éternelle continuité feraient de l’homme, l’héritier des expériences de ces/ses, vies passées, au point de les confondre et/ou à les identifier à une sorte de Double voire une Doublure. Double de l’homme ? Doublure de l’ homme ? Réservé à l’homme ?

Si l’être humain a une vie linéaire, elle débute à un instant et se termine à un autre. Tout au long de sa vie, l’humain, accumule des expériences, qui rejoindraient au fur et à mesure, un EN DEÇÀ, constitué de l’ensemble des expériences des autres humains ?
On retrouve au travers des associations d’idées de Madame R. les concepts de mémoire de l’individu, et d’une entité regroupant l’ensemble des mémoires des individus. Cette matrice originelle, désignée plus haut par l’expression « Réservoir de mémoire », est poreuse. Il existerait des incursions des mémoires des autres -petit « a »- au sein de la mémoire de l’individu. Pour Madame R. (en supposant que ces traces mémorielles soient fortes), un individu pourrait les formaliser, ou les identifier, sous la forme d’un entité imprécise : un double, un jumeau, un Autre, une doublure.

L’analyste découvrant la preuve fonctionnelle de l’existence du « Réservoir de mémoire » étendra sa réflexion sur un EN DEÇÀ possible.