Dans cet article, l’analyste se penche sur les occurrences du chemin dans les rêves, ainsi que sur les concepts qu’il véhicule.
L’allégorie du chemin est une formalisation de l’interrogation unanime des individus sur le sens de la vie, et de la mort.
Ici, nous approcherons le sujet d’abord, en illustrant le chemin par des rêves, puis pour nous intéresser aux rencontres faites durant leur parcours.
Le chemin
Le chemin épouse le spirituel dans nombre de religions. Il est celui qui accueille l’effort, la rencontre, la fraternité. Il est aussi le lieu d’acceptation de la différence.
En Islam, il dessine un cheminement intérieur sur la voie de la purification de l’âme. Il propose de se réveiller de son sommeil. Le sujet doit savoir où il va. Il doit avoir connaissance des interdits, et être déterminé à atteindre ses buts.
Le livre sacré est un chemin.
Pour Saint Augustin, le chemin apporte la lumière. La voie unit ceux qui la parcourt, propose de tendre vers la progression et la perfection.
Dans le judaïsme, le chemin est le lieu de la convergence pour parler de la Torah. Pour le peuple juif, être juif, c’est devenir juif. L’identité juive est une identité en création, un chemin permanent.
Pour les adeptes, les religions christiques, on retiendra la parole suivante : « Je suis le chemin de la vie. Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé. Il entrera, et sortira. Il y aura un chemin frayé, une route. Nul impur n’y entrera. »
Les rêves rencontrés tendent vers ces orientations.
Rêve :
« Je rêve que vous apportez une forme, et que vous l’entourez. Le Mal est là, à l’état pur. Il faut faire et refaire le chemin, avec crainte que le Mal ne surgisse. »
Commentaire :
La patiente s’en remet à la toute puissance de l’analyste. La demande est de contenir le Mal. La patiente subit lors de son enfance des viols multiples de son père. Elle vit l’analyste comme instance protectrice. La protection est sans cesse à construire.
Rêve :
« J’ai plus ou moins rêvé, à demie-éveillée (?) d’un chemin ouvert après un saut dans le vide. On allait vers une grande liberté. La liberté avançait sans détruire, elle protégeait. Des morceaux de portes s’ouvraient. J’étais inquiète. »
Association d’idées:
« Il y a une telle force dans ce qui m’arrive. »
Elle dira par ailleurs : « Ce saut dans le vide c’est la mort ».
Commentaire :
Pour la patiente, il semble qu’il y ait un au-delà de la mort, représenté par le « saut dans le vide ». L’après saut, la mort, ne serait qu’un vide transitoire vers une liberté jusqu’à lors méconnue.
Rêve :
« Sur un chemin, je me promène seule. Je dois, pour continuer, passer par un fossé. Dans le bas, il y a plein de gravillons. Au milieux, un corps mort. Je le vois par le toucher. Je passe, et remonte. »
Associations d’idées :
« J’ai pensé : il y a un os quelque part. Tout ça est traversé par un grand dessein. Ce dessein c’est d’être dans la paix et le bonheur. C’est du très, très réel. C’est, avec le toucher, la vue, et c’est très, très concret. Après la mort, faut-il remonter de l’autre coté du fossé ? Il y a un passage par le vide. Il y a un au-delà du vide. »
« Il y a une aspiration pour que le bien-être dure. Peut-on remplacer par du plus grand, du plus large, par une notion de durée qui ne s’arrête pas… demeurer… être avec… Il y a déjà une vie qui est déjà en route. La mort est une étape qui n’arrête pas le chemin. Je relie çà à de l’innocence. Maintenant, je peux commencer à me laisser aller, à ce bien-être, sans risque de perte de l’innocence. »
Commentaire :
Le souhait du rêveur est d’être accueilli dans une vie privilégiant l’innocence. Le chemin est une voie d’accès qui est accidentée et encombrée : un corps mort réside au fond du fossé. La traversée du fossé est un passage, une étape, confrontant le rêveur à la mort, et le conduisant à la vie de bien être désirée.
Le souhait est aussi de persévérer, de « se nicher dans une vie déjà présente » dira-t-elle par ailleurs.
Autres associations d’idées :
« Il n’y a qu’avec vous que je peux faire ce chemin là. Qui êtes-vous pour moi ? Êtes-vous ailleurs ? ou pas ailleurs ?
Me vient « demeurer ». Où sont ceux qui sont morts ? Mais c’est valable aussi pour les vivants.
Parallèlement, où vous êtes, vous ? »
Commentaire :
Ne sachant où se situer, parmi les vivants ou les morts, le rêveur n’a pour seul référentiel que l’analyste. Le désir de la rêveuse est de se réfugier en l’instance protectrice que l’analyste préfigure, et ce, pour une durée indéfinie.
Rencontres sur le chemin
Ailleurs, on rencontre de nombreux rêves se déroulant au bord d’un abysse. Il engendre une grande angoisse chez les rêveurs.
Rêve :
« Je monte sur un chemin étroit, en sens inverse des individus descendent. Ils sont au bord du précipice. »
Associations d’idées :
« Je ne veux pas être recyclée. »
Commentaire :
Pourrait-on imaginer que ceux qui descendent seront les recyclés ? La rêveuse, en allant à l’encontre de la masse, se préserve du danger du précipice, et va à contresens du chemin dicté. Peut-être, pouvons nous y voir un souhait d’échapper à un funeste recyclage, une renaissance ?
Nombre de personnes refusent la possibilité d’une renaissance après la mort.
Rêve :
« Je suis assis sur un grand balcon d’un petit théâtre. J’occupe la place 231. Il y a un entracte, je vais dans les coulisses. Il y a une seule empreinte marquée comme dans du ciment. Je reviens dans le théâtre, tous les gens se lèvent et chantent un hymne à la joie. Ils sont tous très émus. »
Associations d’idées :
« Je remarque qu’il n’y a qu’une seule empreinte. Est-ce que l’on avance que d’un seul pied ? Ça me fait penser aux tâches Rorschach. Mon passage à moi est marqué par ma façon d’être. »
Commentaire :
On perçoit souvent un désir de ne faire qu’Un chez les rêveurs. Ici, ce désir est soutenu par trois phases :
Le rêveur est Un en tant qu’individu alors qu’il réside dans sa place de théâtre désignée : le numéro 231 bien qu’énigmatique, souligne une position singulière et déterminée.
Alors qu’il se glisse dans les coulisses, il rencontre « une seule empreinte ». L’unicité de cette empreinte, fait prendre conscience au rêveur qu’il existe un autre Un. Ne sachant s’expliquer cette empreinte unique, mais comprenant qu’elle a une signification, il s’en amuse.
A son retour dans le théâtre, il se retrouve face à l’incarnation du désir de ne faire qu’Un. La foule, unie dans l’émoi (les mois ?), est en train de chanter. L’ensemble des individus, à fait place à une Union.
On retrouve aussi certains personnages récurrents dans les rêves :
Rêve :
« Je suis avec Monsieur Auberger (le sujet ne précise pas l’orthographe). Nous avançons sur une route goudronnée. La route devient un chemin de sable et à partir de là, il est impossible de repartir en arrière. Le paysage est magnifique. Des arbres sont le long de la mer. Je continue seul.
Les vagues viennent mourir sur le rivage, c’est de toute beauté. Je suis dans une solitude absolue. Cette solitude est totale dans sa beauté et me convient. Les arbres ont une particularité : ce sont des arbres-lièges, sans écorce. »
Association d’idées :
« Il y a un silence qui me convient profondément. »
Commentaire :
Ici, le chemin offre deux temps : le temps de l’accompagnement, puis celui de la solitude. Il y a irréversibilité de ces deux temps.
L’accompagnement par ce « berger du haut » est souvent rencontré. Il a pour forme l’homme qui marche à coté, une ombre, un inconnu. Le désir transférentiel d’un guide est présent.
A un certain point, le guide disparaît, et fait place à un paysage subjuguant le rêveur. La beauté de ce tableau laisse le rêveur aller seul sur le chemin de sable, entouré par la mort.
Les vagues meurent, alors que les arbres sont sans écorce. Le patient ignore que l’écorce est la partie morte des arbres. Le désir d’un monde où la mort est transcendée par la beauté, n’apparaîtra pas au rêveur.
Son décès surviendra peu de temps après avoir fait ce rêve.
Rencontre avec Personne
Les chemins n’offrent pas toujours de rencontres. Il arrive que les rêveurs atteignant le bout du chemin se retrouvent dans la solitude, ou un univers dénué d’humanité. Les rêves ci-après en sont l’illustration.
Rêve :
« J’arrive sur une pairie, je m’assoie. Il n’y a pas d’ombre, il n’y a personne. »
Rêve :
« Je suis dans un monde à végétation étrange. Je suis au dessus, c’est magnifique. Il n’y a pas d’humains. »
Rêve :
« Je suis dans un champ de blé. J’avance.
Tout est si paisible.
Je tends mes bras et mes mains effleurent les épis de blé.
Il y a des arbres au loin ; une forêt.
Tout est si lumineux. Le Soleil inonde le Monde de Sa Chaleur.
Tout est blond.
Je me sens si bien.
Je regarde autour de moi ; je suis seule dans ce champ de blé. Je n’entends aucun son. C’est le Silence.
Il n’y a que moi. Moi ?
Le Soleil est Tout. Et il révèle la Beauté du Monde. »
Associations d’idées :
« C’est comme si la Trame de la Vie m’était montrée. »
Commentaire :
Dans un monde où le souhait est de ne faire qu’Un, il n’y aurait pas d’autres. Nous rencontrons fréquemment : « je suis seul », « il n’y a personne », « solitude », « pas d’humain ». On peut y voir le désir d’un monde silencieux ou encore un souhait d’appartenir à une entité unique.
NON CONCLUSION
Il arrive que le fil onirique du rêveur cesse d’être linéaire. Le chemin, représentant la vie, peut éclater en ramifications multiples, comme dans le rêve qui va suivre.
Ici, l’apothéose des rêves graphiques est atteinte dans le rêve lors duquel l’univers onirique évoqué est une oeuvre vivante dépassant les contraintes de la toile et du cadre, ramifiant le chemin.
Rêve :
« Je suis chez Olivier. Il y a un grand tableau en largeur : ça fait comme du corail. Il y a des branches bleues et jaunes qui dépassent le cadre. Autour des branches, il y a un carré qui est hors du cadre. C’est comme un second cadre. C’est de la neige ? Les branches dépassent, encore et encore ; ça limite, mais ne les emprisonne pas. Les bouts sont libres. »
Associations d’idées :
« J’ai oublié de dire, le carré de la neige est homothétique, proportionnel. C’est peut-être pas de la neige. Le corail pousse autour de la poudreuse. C’est la toile qui se constitue au fur et à mesure que le corail grandit. Le corail précède la constitution du cadre. La poudreuse, c’est le constituant de la toile. Il n’y a que des points de poudreuse, et ça va devenir la toile. C’est pas un cadre, mais un châssis. Le corail ne prend relief que si il est hors du premier cadre.
Le corail, c’est aussi le fantastique et l’imaginaire. »
Commentaire:
Le support de la vie serait-il un chemin en perpétuelle constitution?
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