Quelques regards posés sur le Double

Double

adj., adv. et n., s’applique à une chose ayant deux aspects, dont un seul est révélé. Le double désigne aussi tout ce qui fait référence à la dualité de l’être humain.

Le souhait du Docteur H. est de simplifier l’approche des différents aspects du Double de l’homme. Il détecte dans un foisonnement de rêves et associations d’idées plusieurs types de Doubles. Il se penchera sur le plus souvent rencontré « le double phallique ». Les techniques médicales modernes proposent un regard nouveau sur « le double mimétique », cette nouvelle approche sera retenue. Chacun de ces doubles seront traités de façon différenciée. Une  psychanalyse exceptionnelle par sa richesse se verra traitée en exclusivité dans un billet. Elle concerne un Double spirituel. Cette rencontre avec le Double n’est pas exhaustive.

 

Quelques éléments de l’histoire du Double

L’histoire du Double est très anciennes. Les mains imprimées sur la paroi des grottes néolithiques sont un exemple de cette antériorité. L’empreinte laissée traduit le souhait de poser sa marque pour l’éternité.

Le Ka en egypte ancienne.
Le KA dans l’Égypte ancienne est un des éléments constitutifs de l’être vivant. Il est son Double spirituel. Il naît en même temps que lui et survit à la mort.

Le Ka est symbolisé par deux bras sans corps au dessus de la tête de pharaon. Le pharaon est le seul être humain vivant sur terre possédant un Ka, le commun des mortels possède un Ka, mais il reste dans l’autre monde. Le Ka est constitué de plusieurs éléments fondamentaux, du « Ba » ou l’âme de l’individu, le « Shout » son ombre, le « Djet » le corps, le « Ren » le nom et le « Ka » qui est la doublure spirituelle de l’être. Le Ka selon les croyances égyptiennes, nait avec l’être et survit après sa mort.

La mystique de l’ancienne Perse est porteuse d’une image semblable. On les retrouve dans la mystique médiévale persanne :

« Tout être humain incarné, possède souvent sans le savoir, un ange dans le ciel, sa Daênâ. La Daênâ est le « Moi céleste » de l’être humain, le miroir de son double terrestre. Elle est la somme de toutes ses bonnes actions et des actes qui découlent de ses bonnes pensées. Quand un homme meurt, Daênâ sous l’apparence d’une belle jeune fille, vient au devant de lui sur un pont, et l’accompagne jusqu’à l’autre rive. Daênâ est donc, à proprement parler, l’âme visionnaire ou l’organe visionnaire de l’âme, la lumière qu’elle projette et qu’y fait voir simultanément aussi la lumière qui est vue ; en ce sens, elle est le religio du mort lui-même. Elle se révèle à lui et lui apprend qu’elle « est en personne la foi qu’il a professée, celle qui la lui inspira, celle pour qui il a répondu, celle qui le guidait, le réconfortait, et celle qui maintenant le juge ». Elle est aussi l’image proposée à l’être vivant et cela dès la naissance de son être et l’image voulue par lui. Elle est l’éternel dans l’être humain. »

– extrait de Les rêves et la mort, par Marie Louise von Franz

Janus, ce dieu à deux faces, outre sa maîtrise sur les Passages est d’avantage encore : sa main droite marque trois cents, et sa main gauche soixante cinq. Trois cents soixante cinq  apparaissent aux yeux de ces deux faces (devant-derrière) et ainsi souligne ses pouvoirs multiples sur tous les jours de l’année.

Janus-Vatican.JPG
« Janus-Vatican » par Fubar Obfusco — Foto taken himself, upload to English wikipedia by Fubar Obfusco. Sous licence Public domain via Wikimedia Commons.

La découverte en 1945 dans la région de Nag Hammabi (Egypte) de documents du IVe siècle fait état :

« Chaque chose visible est une copie de celle qui est cachée. »
Ou encore :
§22 Silv 99,5.6: « En effet, toute chose visible est l’empreinte (tupos) de ce qui est
caché.»
source : Wikipédia.

(À noter que l’un de ces documents fait référence à un frère jumeau du Christ.)

Visions d’autres observateurs : ce qui renvoie au Double

Nous naissons dans la perte du corps maternel. Il s’agit la d’une abyssale origine, un objet perdu. La psyché ne veut pas de cette séparation des origines et crée une présence obscure : un double qui prendra une ou plusieurs formes. L’âme « immortelle » trouve peut-être sa place dans ce premier Double.

O.Rank dans Don Juan et le Double a développé largement le propos concernant le Double.
Ailleurs Freud a fait évoluer sa créativité sur ce thème depuis L’inquiétante étrangeté, puis dans Au delà du principe de plaisir.
Enriquez rapportant une thérapie d’un délire du Double cite :

« tout se passe comme si je n’étais pas moi. Ce n’est pas ma main qui agit. Ce Double c’est le personnage que je voudrais être. Cet autre imaginaire a un pouvoir sur moi ».

Dans son texte sur le Double : l’unheimliche, Freud attribue au Double un effet antagoniste à l’angoisse d’anéantissement.
O.Rank va dans le même sens :

« le double était à l’origine une assurance au centre de la disparition du moi, un démenti énergique de la puissance de la mort. »

Nietzsche, dans Ainsi parlait Zarathoustra, imagine que l’homme serait le support ou le lien avec une toute puissance (protectrice ?).

Pour Avicenne, le corps est dirigé par l’âme. Le corps est le support de l’information à acquérir. Plus proche de nous, Pierre Theilard de Chardin propose une essence sur laquelle nous serions « greffés ».

Très proche de nous, l’expérience d’Aspect( ici très très vulgairement condensée) : il sépare deux photons mariés et chargés chacun des mêmes informations. Changer une des informations sur l’un des deux photons, et ce changement se répercute immédiatement sur l’autre photons marié, et ce, quelque soit l’éloignement des deux unités antérieurment associées.

le Double « thérapeutique »

Le Double « thérapeutique » des malades en phase terminale. Ce Double a pour fonction de projeter le patient dans un avenir au delà de la mort, une survivance qui défie la mort, « un statut d’entre deux. » (M.de M’uzan).(LE TRAVAIL DU TREPAS) in De l’art à la mort :  Itinéraire   psychanalytique .Société Psychanalytique de Paris

le Double « mémoire »

Au cours du temps, la figure du Double évolue. Il était MOI l’identique, puis la mort approchant, devient garant d’une survie  post mortem. Le Double est aussi le lieu de stockage du passé, la mémoire en réserve qui peut même contenir l’oubli. Parfois le Double devient une instance critique.

O.Rank décrit :

« au début, le double est un MOI identique (ombre, reflet), comme cela convient à une croyance naïve ou une survie personnelle dans le futur. Plus tard, il représente aussi un MOI antérieur contenant avec le passé aussi la jeunesse de l’individu qu’il ne veut plus abandonner, mais au contraire conserver ou regagner. Enfin, le double devient un MOI opposé qui, tel qu’il apparaît sous la forme du diable, représente la partie périssable et mortelle détachée de la personnalité actuelle qui la répudie ».

le Double « protecteur »

Beaucoup plus antérieur  dans le temps, Mani (IIIe siècle persan) propose « LE PARACLET » : manifestation d’un jumeau du Royaume de la lumière, à la fois : initiateur, protecteur, révélateur des mystères cachés. Ce jumeau existe comme « jumeau de lumière », un « alter ego » auquel s’identifier. Il est aussi un « frère second » ou encore un élément d’une « paire de deux ». Cet alter ego est un être complémentaire ou protecteur constant. Ce « frère second » propose :

« Si un jour tu te trouves dans la détresse, tu m’appelles. Tu me trouveras à proximité de toi, et dans chaque détresse, et dans chaque danger, alors je te tiendrai sous ma protection. » (Code de Cologne, 40, 1.7)

Une autre forme de Double peut être conçue comme « Ange » : la Bible dans le livre de Tobit affirme l’existence de l’Ange ou Archange Raphaël.
L’Ange est une identité peu déterminée, constituée d’images et d’expressions traitant de façon médiatrice de la relation entre l’homme et Dieu.
Raphaël est le type même de l’Ange gardien, protecteur, celui qui accompagne ou guérit. Il a un rôle majeur dans le livre de Tobit. Il est aussi celui qui marche à coté du héros.
L’Ange dans la littérature n’apparaît pas toujours comme aussi amical. Rainer Maria Rilke dans les Élégies de Duino (2eme élégie, collection Essai, chez Points,  p.19) écrit :

« Tout Ange est terrible. Et pourtant, malheur à moi ! Pourtant je vous invoque, oiseaux de l’âme, si près de nous êtres mortels, en toute connaissance. __ Où sont-ils les temps de Tobit, où sur le simple seuil de la maison se tint le plus resplendissant de vous, juste un peu déguisé pour le voyage, et qui déjà n’était plus effrayant ? or […] il s’en venait, l’Archange, le dangereux, de derrière les étoiles, si il faisait un seul pas pour descendre et s’approcher : si fort le cœur nous battrait, si haut il bondirait, éclatant, que nous serions quasi frappés de mort. Qui êtes vous ? »

Rainer Maria Rilke, dans sa cinquième élégie à Duino, écrit :

« Ange ! Il doit être une place -mais nous ne la connaissons pas- où… les innombrables morts silencieux, oui, ils devraient être capables de cela. Et leur jetteraient ils alors et toujours épargnés, toujours dissimulés, et que  nous ignorons, leur piécette ultime valable en éternité. »

Une autre forme d’ange : Charon ? Charon faisait passer aux ombres le Styx. Il veillait à ce que les morts anticipent sur le paiement de leur voyage en ayant une pièce dans leur bouche.

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« Charon by Patenier » par Joachim Patinir (vers 1480-1524) — [1]. Sous licence Domaine public via Wikimedia Commons.

Le Double a bon dos : une sorte d’ange gardien. D’abord bon dans les actions réussies et conformes à la morale, il devient alors diabolique si lassé d’être responsable des mauvaises actions et il s’empare du sujet. Le délire est proche.

Faut-il aller si loin dans l’obscur, pour évoquer ce type d’ange ? Les médecins dans le secret de leur conscience, qui savent que dans les phases ultimes de leurs patients « le périssable a besoin d’eux » (Rilke). Les médecins -très discrètement- anges psychopompes?

Pour Saint Augustin, dans in L’Immortalité de l’âme, plus précisément les Confessions, le concept du Double -mais lui ne l’écrit pas ainsi- est conçu comme un ensemble universel qui va de forme en forme. Saint Augustin écrit :

« ainsi donc, toi, Ô Vie de ma vie,  je te concevais comme une substance immense, étendue dans l’infini de l’espace, qui pénétrerait  toute la masse de l’univers et qui, en dehors de celle-ci, se déploierait de toutes parts, parmi des immensités sans bornes, si bien que la terre, le ciel, et toutes les choses, détenaient une parcelle de toi, tout en ayant leurs limites en toi, alors que les tiennes, n’étaient nulle-part. »

Toujours dans Les Confessions, il écrit :

« Il y a une forme qui préside au corps de l’Univers, sa nature est meilleurs puisqu’elle se suffit et qu’elle conserve ce qu’elle a fait ; c’est pourquoi cette mutabilité n’enlève pas au corps sa nature propre, mais le fait passer de formes en formes, par un mouvement extrêmement ordonné. »

Saint Augustin parle de l’Âme-vie :

« une chose qui n’aurait pas de nature propre et ne serait pas une substance, mais se trouverait dans le corps-sujet inséparablement comme la couleur et la forme. […] L’âme ne saurait être dans le corps-sujet comme la couleur et la forme, parce que, elle est elle-même une substance ou elle se trouve dans une substance-sujet qui n’est pas le corps. »

Saint Augustin reprend la, à propos de l’Âme-vie, le thème platonicien de l’indépendance de l’âme par rapport au corps. Saint Augustin, toujours dans L’Immortalité de l’âme, prête à l’Âme-vie une intention et une fonction vivifiante :

« Car tout son désir, lorsqu’elle porte sur le corps, est soit de l’avoir en son pouvoir, soit de le vivifier, soit, en quelques sortes de le façonner, soit de lui fournir tout ce dont il a besoin. »

Faut-il entendre que, pour Saint Augustin, le Double serait une substance universelle et éternelle, et le corps, son support individuel ? Faut-il voir là sa référence à la « Suprême Essence » ? On le cite alors :

« car selon l’ordre naturel signifie que cette Suprême essence attribue au corps la forme qui le fait être et ce qu’il est, et cela par l’intermédiaire, de l’âme. C’est donc par l’intermédiaire de l’âme qu’un corps subsiste, qu’il existe par ce qui l’anime, soit universellement, comme le monde, soit particulièrement, comme chaque être animé au sein du monde. La conséquence en serait que l’Âme ne devient corps que par l’intermédiaire de l’âme, à l’exclusion de tout autre chose. Et, comme cela ne se produit pas, l’Âme, conservant ce qui fait d’elle une âme, fait être le corps, en lui donnant sa forme. […] Et, si l’Âme livre sa forme au corps, pour qu’il soit corps, dans la mesure où il est, elle ne perd nullement cette forme en la lui livrant. »

L’âme n’a donc pas besoin du corps pour exister, alors que le corps prends forme lorsqu’il est habité par l’âme.
Pour Saint Augustin :

« toute masse qui occupe un lieu n’est pas toute entière dans chacune de ses parties, mais dans toutes ensemble. Aussi, chaque partie, occupe-t-elle son lieu propre. Mais l’âme, elle, n’est pas seulement présente à l’ensemble de la masse du corps, elle est aussi toute entière dans chacune de ses parties. […] Elle est donc toute entière, à la fois, dans chacune des parties, puisqu’elles sent toutes entières et simultanément dans chacune en particuliers. »

À la lumière de nos connaissances d’aujourd’hui, l’obscur de ce texte pourrait-il s’écrire ainsi : chaque parcelle contient l’intelligence du Tout, et le Tout a l’intelligence de chaque parcelle?

Platon dans La République, raconte l’histoire de Er le Pamphylien. Er est un guerrier laissé pour mort et qui a survécu à ses blessures. Il raconte -entre autre- que chaque âme a le privilège de choisir « un daïmon » ou « esprit protecteur ». Pour les romains qui s’intégrèrent dans la chrétienté, ce daïmon est un ange-gardien.

Socrate se disait inspiré d’un génie particulier, qu’il nommait son ðaïmon et qui lui suggérait toutes ses résolutions, tous les principes de sa philosophie et de sa conduite. Consulter son ðaïmon familier, c’était pour Socrate consulter sa divinité intérieure, son jugement, sa raison, qu’il regardait non seulement comme un don mais comme une émanation et une portion de la divinité. Socrate le prenait pour un guide réel, distinct de son imagination et organe d’une divinité tutélaire.

Pour Mme Blavatsky, dans La Doctrine secrète :« le ðaïmon de Socrate est la partie incorruptible de l’homme, ou plutôt le véritable homme intérieur, le Noûs, ou l’Ego rationnel divin. »

attelage_ailePlaton dans Le Phèdre fait de l’âme une puissance qui unit un attelage et un cocher ailé. La tradition hindouiste décrit aussi un attelage dont le corps serait le chariot et le cocher, l’intelligence.

Le philosophe platonicien Apulée s’est penché sur le « démon de Socrate ». Il complète en décrivant ce démon comme ange-gardien, protecteur privé, témoin. Le « daïmon » communiquerait avec son protégé par l’intermédiaire des songes.

« Non, vous répondra Platon par ma bouche, non, les dieux ne sont pas tellement distincts et séparés des hommes, qu’ils ne puissent entendre nos vœux. Ils sont, il est vrai, étrangers au contact, mais non au soin des choses humaines. Il y a des divinités intermédiaires qui habitent entre les hauteurs du ciel et l’élément terrestre, dans ce milieu qu’occupe l’air, et qui transmettent aux dieux nos désirs et les mérites de nos actions : les Grecs les appellent démons. Messagers de prières et de bienfaits entre les hommes et les dieux, ces démons portent et reportent des uns aux autres, d’un côté les demandes, de l’autre les secours; interprètes auprès des uns, génies secourables auprès des autres, … »

 

Les éléments cités précédemment ont servis d’appuis et de références à notre réflexion. En tant que collectionneur de rêves, nous avons découvert des similitudes dans l’onirisme des patients. Grâce à d’autres auteurs, nous avons réuni des indices témoignant des différentes manifestations du Double de l’homme.
La création d’un Double de l’homme naitrait du rapport universel de l’homme à la mort. Le Double nous accompagnerait, nous survivrait, serait de tous les temps.